La mort a toujours été là. Elle est apparue en même temps que la vie. La fatalité. Quand il y a un début, il a une fin, n'est-ce pas ? C'est comme une histoire. On vit, on meurt. Une suite logique. Une équation inévitable. Ou presque.
Il est la mort. Il l'a toujours été. Il ne se souvient même pas l'être devenu. Il ne se souvient pas de grand chose. Il est la mort et c'est la seule certitude. On lui a donné ce sale job. Il cueille les âmes à l'agonie, les prend dans ses bras et les entraîne au loin. Il est celui qu'on déteste. Celui qu'on pleure. Qu'on souhaite. Qu'on se donne. Qu'on admire. Il est haï et adulé. Cela avait toujours été comme cela. Un paradoxe ambulant. L’homme a toujours eu cette relation d'amour et de haine pour la Mort. C'est compliqué et incompréhensible. Personne ne l'explique. On la tait, elle est tabou la Mort... Parce que toujours là. Elle nous hante, elle vient nous effleurer doucement, même. Son souffle frappe contre tous les cœurs qui battent encore. Elle compte ses battements, jusqu'au dernier. Elle sait quand ce dernier viendra. Un, deux, trois... Et voilà, c'est la fin.
Il faisait ce qu'il fallait. Ce qu'on lui avait assigné. Il respecta les règles, pendant tout ce temps, avec un sérieux irréprochable.
Et puis il y a eu Blanche. Blanche Seguin. Avec ses longs cheveux blonds. Ses désirs de liberté. Bien que ses six sœurs aînées, ainsi que sa propre mère, se perdirent bien avant elle sur les sentiers de la forêt sans jamais en revenir, elle n'avait pas peur. Elle voulait tenir tête à son père. Elle en avait marre de rester dans sa cage dorée. Alors un beau jour de printemps, alors que son père alla à la ville, la laissant seule pour la toute première fois, elle se glissa par la fenêtre de sa chambre. Atterrissant avec douceur tout en bas, foulant de ses pieds nus l'herbe fraîche et humide. Un sourire immense se dessinait sur ses lèvres rosées de jeune femme. Elle avait glissé dans un des pans de sa robe blanche son petit couteau que son père avait taillé pour elle, dans l'os de sa petite chèvre blanche, que la maladie avait emporté de longs mois auparavant.
Elle s'était mise à courir, dans les bois. S'y perdant même. Mais qu'est-ce qu'elle s'en moquait ! Le vent fouettait ses joues rougies, caressait sa peau. Son rire malicieux venait se perdre dans les feuilles, et des brindilles se coincer dans ses cheveux trop longs. La petite fille gardée par son père venait de se transformer en jeune femme sauvage, et libre.
Elle ne s'arrêta que lorsqu'elle aperçut, au milieu d'une clairière, une silhouette sombre. C'était comme si il attendait quelque chose, ou bien quelqu'un. Courageuse, elle s'en approcha, la main bien posée sur le manche de son petit couteau blanc. Pourtant, elle se ravisa lorsque l'homme se tourna vers elle. Un homme grand, et fin. Au cheveux noirs de jais, trop longs. Au regard gris. A la posture droite, sévère. Il était son total opposé. Elle, si lumineuse, faisait face aux ténèbres. Il faisait battre son cœur plus vite. Il la faisait frissonner. Il l'attirait, par son aura mystérieuse. Pourtant, il lui inspirait un grand danger.
« Qui es-tu ?, demanda-t-elle d'un ton guilleret. Elle n'avait même pas peur, et en était bien fière. »
Il la toisa un long instant. Son regard dur sembla s'adoucir. Un sourire vint même se glisser sur ses lèvres étroites et pincées.
« Arthur. Je suis Arthur.
- Et moi je suis Blanche. »
La fougueuse mais pas innocente Blanche se perdit très vite dans ses bras, ce jour-là. Créature singulière, au regard brûlant d'un désir infini, Blanche voulait tout. Elle voulait la liberté. Elle voulait goûter à de nouveaux plaisirs. Jouer à de nouveaux jeux. Jouer avec cet homme sombre, qui lui même, se perdit avec elle. Voyant tout son monde s'ébranler. Il n'était pas là pour cela. Il n'était pas là pour se laisser aller. Et pourtant, il l'avait fait. Pour les beaux yeux de Blanche, il avait faillit à son devoir. Il s'était laissé avoir, par les courbes parfaites de la jeune femme, par sa pâleur extrême. Ils étaient opposés, et se complétaient de la sorte.
Pourtant, la nuit vint tomber. Le soleil s'en alla, laissant la forêt dans la pénombre la plus profonde. Arthur réalisa qu'il était trop tard. Blanche aurait dû partir avant. Pour échapper à son destin. Il lui cria de s'en aller. Elle ne l'écouta pas. Elle voulait rester avec lui. Cet amant d'un jour.
« Je veux regarder les étoiles, avec toi. Laisse moi les contempler, une à une. »
Il la repoussa, violemment. Elle le regarda, avec ses grands yeux apeurés. Arthur la contempla un instant. Il n'avait pas le choix. Il devait le faire. Son âme était prête à être cueillie. Blanche, c'était ta fin. Elle était là. Tu as embrassé la mort. Tu as goûté à son corps. Son intégralité. Trop tard. Très vite, la mort dévoila son véritable visage. Un visage affamé de loup. De longues dents aussi affûtés que des couteaux. Pourtant, le loup avait le regard triste. Parce que la mort, pour une fois, fit son travail à contre cœur. La mort prenait la vie qu'elle avait chéri comme jamais, l'espace d'un instant.
Blanche porta la main à son couteau. Mais il était trop tard. Elle leva la tête, vers les étoiles. Les observant, une dernière fois. Ses étoiles, qui à l'image de sa vie, s'éteignaient peu à peu. C'était donc cela, le prix de la liberté ? De l'insouciance ? Du plaisir ? Elle ouvrit ses lèvres pâles une nouvelle fois, pour laisser échapper un gémissement douloureux, et fort. Un cri dans la nuit. Il lui sembla entendre son père qui criait son nom, au loin. Mais il était déjà trop tard. Elle aurait dût l'écouter, elle le savait. Une larme naquit au coin de son œil, et coula le long de sa peau blanche. Elle était morte. Dévorée par le loup.
Monsieur Seguin trouva le corps de sa fille au milieu de la matinée. Dans cette même clairière où elle avait goûté à la vie, et à la mort. Il pleura sur son corps, de longues minutes, avant de la ramener chez lui. Dans son lit. Ce pauvre être ensanglanté. Elle avait perdu ses lèvres roses, ses joues légèrement rouges.
Il alla pleurer au village la mort de sa petite Blanche, happée par le loup. Personne au village ne connaissait l'existence de sa cadette, qu'il avait toujours gardé jalousement dans sa maison, si bien que tout le monde pensa qu'il parlait de sa petite chèvre blanche. La chèvre de Monsieur Seguin devint très vite une histoire connue au village, remaniée pour dissuader les enfants de vouloir être trop libre, comme cette pauvre petite chèvre.
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« Je veux voir Blanche. Laissez-moi voir Blanche ! » Il criait, se débattant contre les barreaux trop solide de sa prison étroite. On lui jeta simplement un regard sévère. Il était devenu fou. Fou d'une âme. A qui il avait épargné l'enfer. Qu'il avait entraîné dans ses appartements secrets, pour la garder précieusement pendant de longues années. Elle était son secret. Elle était blanche. Sa précieuse âme, si belle et lumineuse. L'amour de sa vie. Hadès amoureux ! C'était fou, et cela faisait rire. On le tournait au ridicule, maintenant que l'on savait. Et on le punissait.
« Tu ne peux plus la voir. Tu ne le pourra plus jamais. Tu n'avais pas le droit de faire cela. Elle est punie pour toi. Elle paye pour tes erreurs Hadès. »
C'était injuste. Il avait envie de crier, de pleurer. Mais rien de tout cela ne vint. A la place, il se laissa tomber, dépité, dans le fond de sa cage. Les autres avaient le droit de s'éprendre d'un mortel ! Pourquoi pas lui ? Pourquoi ne pouvait-il pas garder, comme ses frères, près de lui son amour ? Il ramena ses genoux contre son torse. Se refermant sur lui-même. Dans le creux de sa main, qu'il serrait comme jamais, un petit couteau était logé. La dernière chose qu'il lui restait de sa douce Blanche.
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Elle lui faisait penser à Blanche. C'est pour cela qu'Hadès avait choisit Perséphone. L'entraînant avec lui aux Enfers, avec cette fois-ci, l'autorisation de Zeus. Faisant d'elle sa femme. Sachant pourtant que rien ne serait jamais pareil. Il s'était fermé aux relations humaines, faisait pourtant un effort pour celle qu'il avait fait sienne. Se laissant l'éternité pour se soigner de son cœur brisé. Et ce n'était même pas suffisant.
A présent, c'était-il juré, il ferait les choses biens. Ne se laissant plus dépasser par ses sentiments. Il n'y avait plus rien que des échanges et autres actions avec les autres. C'était comme cela que la mort et la vie avaient toujours marché. Comme un immense et trafic sans fin, parsemé de larmes et de souffrance.
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