Il y a quelque chose de fascinant dans la mort. Du moins, c'est ce que Kayden se dit, alors qu'il fait face au corps sans vie de Zeus, exposé là comme un trophée. Peut-être est-ce parce que c'est la toute première fois qu'il se retrouve confronté à elle. Depuis qu'il vit sa vie d'immortel, la mort est bien le cadet de ses soucis. Il l'a toujours considéré comme extérieure à son existence, lointaine, voire impossible. Pourtant, la figure même de l'immortalité, de la vie éternelle, est pourtant là. Mort. Raide. Froid. Effrayant. Il ne sait pas quoi en penser, il ne sait pas quoi dire. Alors il se tait. Depuis qu'il a franchit d'un pas hésitant le seuil de la demeure de Zeus, il n'a rien dit. Les lèvres pincées, il s'est contenté de saluer d'un geste de la main les êtres familiers éparpillés dans la maison, qui a plus des allures de château que de maison, d'ailleurs. Mais tant pis. Il se sent comme un intru, dans cette demeure triste à mourir. Il n'aime pas la tristesse. Surtout dans ce lieu. La tristesse des quelques êtres qui l'expriment encore est factice, pitoyable. Et puis les autres, ils se moquent bien de la situation, ou même, la fête !

Et puis Kayden lui, n'a jamais vraiment été proche de Zeus. Pourtant, l'existence sulfureuse des deux habitants de Blueleaf auraient bien put les pousser à se cotoyer, mais qu'on se le dise : Zeus n'a jamais été au goût de Kayden, qui, malgré les apparences, se montre quand même un peu difficile... Parfois. Enfin, bon. Kayden soupire, se prostrant devant la dépouille du Dieu, si souvent adulé, si souvent crains, et pourtant, si vulnérable à cet instant, et surtout, si... mort. Les bras croisés, et les sourcils froncés, le jeune hermaphrodite contemple intensément le Zeus blafard qui git dans son lit de mort, le dernier dans lequel il dormira. Et bon sang, qu'est-ce qu'il est vilain, ce lit. Alors, il se fait la promesse de dire dès que possible à quelqu'un, que si jamais il vient à connaître un destin tragique, il veut un lit plus présentable, et moins triste. Voilà, dès à présent, c'est dans sa liste des choses à faire. Juste avant « Se lancer dans l'organisation de funérailles ». Oui, si les « immortels » eux-même se mettent à mourir, autant en lancer un business, non ? Bon, d'accord, peut-être pas. Mais cela reste une idée à garder sous le coude, songe Kayden.

Il se penche une nouvelle fois sur le cadavre, une grimace collée au visage. Non, vraiment, il ne peut pas s'y faire. Il soupire une énième fois, se moquant bien d'être impoli, car de toutes manières, personne ici n'est respectueux en cet instant. Alors quitte à être totalement irrespectueux, il s'appuie sur le cercueil, retire un de ses propres colliers, et le pose sur le cadavre sans vie de Zeus, colorant un peu ce visage grisatre d'un camaieu de bleu, de perles reflétant leur couleur contre la peau dure du Dieu déchu.

« Mieux ! C'est mieux ! Un peu de couleur n'a jamais tué personne, si je peux me permettre l'expression. Franchement, quitte à fêter la mort, autant rendre le roi de la fête présentable ! Le responsable de cette terrible décoration devrait être mort de honte actuellement. »

Kayden s'exprime, laisse jaillir les mots d'entre ses lèvres, pour la première fois depuis qu'il a pénétré dans ce lieu de deuil. Il n'a pas honte de les lâcher d'une voix claire et assez forte pour que les personnes se trouvant autours de lui puisse profiter pleinement de son coup de gueule.

Kayden a toujours aimé voir les situations changer sous ses yeux. Alors que certains détestent se sentir pris au dépourvu, ce n'est pas son cas. Lui, il se délecte des situations improbables. Il se délecte même de cette situation là, dans laquelle il se trouve bien malgré lui. Il aurait bien répondu à la demoiselle qui vient appuyer ses critiques sur la décoration déprimante de la « fête ». Cette jolie petite demoiselle qui semble à peu près aussi perdue qu'elle dans cette marre de visages connus, ou non.


Mais voilà. Quelque chose vient le couper dans son élan. Un événement loin d'être annodin, et qui fait s'entrouvrir les lèvres de Kayden dans une moue surprise. Surprise, mais également émerveillée. Emerveillé de voir que finalement, dans ce lieu aussi déplaisant que la mort dont il s'est revêtu en ce jour de deuil, quelque chose de si beau peut émerger. Face à cette scène magique – littéralement -, il laisse flotter sur ses lèvres son tout premier sourire de la journée. Expression légère et tout juste visible, il est pourtant bien là, ce sourire.

Il l'adresse à Adelaide, ce sourire. Il l'adresse à elle, et sa merveilleuse beauté, ses ailes qui émerveillent comme un gosse l'hermaphrodite. Il se moque presque de se qui l'entoure, en oublie presque ces fichues funérailles. C'est très impoli de sa part, mais honnêtement, il n'en a même pas conscience. Kayden est un de ces gamins, qui n'agissent que par instinct, allant au delà des normes sociales. Ce n'est pas nouveau. Sinon, sa vie aurait été du début à la fin profondément différente, c'est certain. Alors que certains ont souvent qualifié cela de grand défaut, Kayden lui, a toujours défendu cela comme sa plus grande qualité. Mais là n'est pas la question.

Chassant de son esprit toute réflexion inutile, il se décide à bouger. Il s'approche alors d'un pas confiant de la grande blonde aux ailes déployées, et s'arrête face à elle. La fixant dans les yeux, sans aucune gêne. Il s'empare même de sa main, sans attendre une quelconque réaction de sa part, ni même une autorisation de sa part pour la toucher de la sorte.


Son sourire s'accroit, teintant son visage androgyne d'une moue d'enfant. Il ne s'occupe pas du silence qui vient s'installer autours d'eux, face à cette scène dépassant l'entendement. Il ne s'occupe que de la femme qui se tient face à lui.